Les Bizotins, une maison pas comme les autres

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La structure avenue du général Michel Bizot, dans le 12ème arrondissement à Paris, accueille six jeunes porteurs de troubles autistiques et/ou psychiatriques. Plongée aux coeur du premier foyer d’accueil médicalisé pouvant accueillir des adultes non autonomes au sein d’une maison en Ile-de-France.

Etan, une des éducatrices du matin, donne son déjeuner à l’un des résidents. Crédit LDM
Etan, une des éducatrices du matin, donne son déjeuner à l’un des résidents. Crédit LDM

C’est une maison comme une autre à Paris. Au sous-sol, une buanderie, une salle de jeux avec un piano électrique et des dessins accrochés en vrac sur le mur du fond.  Au rez-de-chaussée une cuisine habillée de carreaux en faïence bleus donnant sur un petit jardin, un salon avec une table à manger, deux canapés en cuir et une télévision allumée faisant résonner des comptines pour enfants. Au premier et au deuxième, six chambres, trois par étage. Accroché à leur porte, une photo du locataire et un petit texte qui l’accompagne. Sur celle de Jérôme, on peut lire : ‘’Je m’appelle Jérôme*, j’aime déjeuner seul à une table mais voir du monde.’’ Et un peu plus bas : ‘’Points de vigilance : Je me rassure en me tapant dessus. Je porte un casque et des gants de boxe pour me protéger.’’ 

Une structure unique en Ile-de-France

Le Foyer d’accueil médicalisé (FAM) des Bizotins a été créé en novembre 2022 par deux structures. L’Elan retrouvé, structure médico sociale de plus de 600 salariés, fait fonctionner la maison 24/24 et gère les salariés (éducateurs). Le Chemin de Pierre, association créée par les parents de Pierre, un des résidents de la maison, se charge de l’animation et des bénévoles, sous la gestion d’Oriane et d’Odile, toute deux membres de l’association. Une « collaboration plutôt inédite dans le milieu socio-éducatif » selon Odile. 

S’il s’agit de la première structure de ce type à prendre ses quartiers dans une maison, l’Élan Retrouvé n’en est pas à son coup d’essai. Quatre autres lieux d’accueil, dans des appartements en Ile-de-France, fonctionnent sur le même principe.

Il est 9 heures du matin. L’équipe du matin prend le relais de Salim, le veilleur de nuit. Bol de cornflakes à la main, les yeux cernés, il installe avec douceur Amine, un des résidents, à la table du petit déjeuner : « Cette nuit, Amine a jeté tous ses habits par la fenêtre. Il a arraché la sécurité. Heureusement, c’était la fenêtre qui donnait sur le jardin et pas sur la rue. J’ai peur qu’il finisse par faire une connerie. » Comparé à il y a quelques mois, les nuits sont calmes. « Au début ils poussaient des cris de mort, qui résonnaient dans ma tête toute la journée ».« Ils ont fait beaucoup de progrès. C’est unique ici. C’est le cinq étoiles du FAM. Après 20 ans d’expérience dans ce milieu, je n’ai jamais vu un tel côté inclusif et familial pour des troubles autistiques et psychiatriques de cette ampleur » c’est-à-dire des adultes pour la plupart non verbaux, non propres, ne pouvant pas se laver seuls, travailler et cuisiner.

Autour de la table du salon, Ali, Hakim, Pierre, et Robin engloutissent bruyamment leurs coco pops. Christophe lui est en vacances. Jérôme s’asseoit un peu à l’écart, sur la table du fond. Ses joues sont pleines de bleues. Avec son poing droit, il donne régulièrement des coups au bruit sourd sur son casque. Ils sont six jeunes adultes porteurs de troubles autistiques et/ou psychiatriques entre 19 et 35 ans à habiter au FAM des Bizotins toute l’année et y ont une place à vie. Les coûts sont financés par l’allocation adulte handicapé, le conseil départemental et l’agence régionale de santé (ARS). Aucun complément n’est requis pour les familles. 

La chambre de Pierre avec les photos de sa famille sur un pêle-mêle. Crédit LDM

Une maison chaleureuse et familiale, en petit comité

Six éducateurs se relaient toute la semaine. Le week-end, une nouvelle équipe gère le quotidien. L’objectif est un accompagnement le plus personnalisé et inclusif possible. Ce n’est pas un hôpital, ni une maison fermée. « Ici c’est beaucoup plus chaleureux que dans les autres structures où j’ai travaillé » explique Fatoumata, une des éducatrices spécialisée du foyer. « Il y a un côté très familial. J’ai pas l’impression de venir travailler. » En six mois, l’équipe n’a pas changé. 

« Toutes les maisons existantes aujourd’hui requièrent une certaine forme d’autonomie, par exemple pouvoir cuisiner ou travailler » déplore Anne-Clémence, mère de Pierre, membre du conseil d’administration du Chemin de Pierre. « Je n’ai trouvé aucune structure de ce type pouvant répondre au profil de Pierre, qui n’est pas autonome ». « On nous proposait des FAM avec une trentaine de résidents ou plus » mais l’objectif était que Pierre puisse vivre dans un environnement en plus petit comité, chaleureux et avec une dimension inclusive. Pour François Géraud, directeur de l’Elan retrouvé « nous sommes les seuls en Ile-de-France à proposer ce type de structure aussi intégrée dans la société » pour ce profil d’adultes.

Une maison en plein coeur de Paris 

Au 40 avenue du Général Michel Bizot, un discret panneau sur le bas de la porte bleue indique « FAM des Bizot ». « Dans l’ancien institut médico-éducatif de Pierre, on devait l’attendre dans un sas. Ici, il suffit de sonner et on nous ouvre », se réjouit Olivier, bénévole du Chemin de Pierre. Une fois dans l’entrée, il fait un check à Amine. Tout au long de la journée, on rentre et on sort de la maison. Educateurs, agent d’entretien, bénévoles, art thérapeute, musico thérapeute, familles et amis des résidents sont ici chez eux. « A l’IME où je travaillais avant, ça faisait beaucoup plus hôpital qu’ici. Il y avait de grosses portes lourdes. Ici les jeunes ont la liberté de se déplacer comme ils veulent » explique Abdoul, 23 ans, un des éducateurs. L’enfermement à l’hôpital psy, « c’est ça qui fait qu’ils craquent ». 

Une adaptation à l’usager, à son niveau d’autonomie et ses capacités 

« Tout est fait pour que l’usager (Ndlr le résident de la maison) se sente chez lui » précise Fatoumata en donnant un verre d’eau à Hakim. « On fait nous même la cuisine, pour éviter les barquettes toutes faites, et on mange avec eux. » Un des mots d’ordre est l’adaptation à l’usager. « J’ai travaillé dans des endroits où s’ils ne voulaient pas manger, on leur donnait de l’eau uniquement, et ils passaient l’après-midi le ventre vide. On était à la limite de la maltraitance. Ici, on change d’aliment. » Même méthode pour la douche. « Si l’un d’eux prend 45 minutes pour se laver, c’est OK. Ailleurs, c’est 10 minutes, pas une du plus » explique l’éducatrice. Contrairement à d’autres endroits où c’est « robot, robot, robot », ici, on s’adapte.  

Etan dans la cuisine de la maison. Rien ne laisserait penser que c’est celle d’un FAM, sauf les verrous accrochés sur chaque placard. Crédit LDM

Un accompagnement autour de la socialisation, avec des temps collectifs à l’intérieur et à l’extérieur 

Après le goûter, Mohamed emmène Amine et Pierre se promener sur la coulée verte. Amine ramasse les feuilles mortes, canettes, ou autre bouts de papier qui se trouvent sur son passage et les jettent sur le côté. Une grand-mère avec une poussette attend craintivement que le groupe passe. « Ils sont pas méchants hein » lance Mohamed à la dame un peu gênée. L’inclusion implique une socialisation à l’extérieur, mais aussi des temps collectifs à l’intérieur de la maison. Les journées ont un programme défini à l’avance. Le lundi et le mardi ateliers sur table et sorties, le mercredi coach sportif, le jeudi musico thérapie, et le vendredi art thérapie. Toutes ces activités sont proposées, encadrées et financées par Le Chemin de Pierre. 

« Et on voit le résultat en six mois déjà » se réjouit Fatoumata, ses grands yeux bruns brillants de fierté. Hakim, 32 ans, était avant d’arriver ici dans un hôpital psychiatrique à mi-temps. « Ils ont pris un risque en le mettant à 100% ici. Au début il avait des gestes de défense quand il nous voyait. Il mangeait tout ce qui était sur son passage. Il se réveillait la nuit toutes les deux à trois heures en criant. Aujourd’hui, il fait toujours quelques crises liées à la nourriture, mais elles n’entraînent plus de réactions violentes, et il dort à poings fermés. » Quant à Christophe, il ne porte plus son casque de box, ni ses gants. 

Louise de MAISONNEUVE 

*Les prénoms des résidents ont été modifiés 

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Posté le

25 juin 2023